Cet ouvrage est né d’ateliers d’écriture que j’ai organisés à Bruxelles, où six femmes brillantes – Juliette Berguet, Florine Gason, Djamani Tshabu, Latifa Ben Ahmed, Nadine Delire et Sabrina Idrisse – sont entrées en résonance et en puissance. La force de leur écriture tient de ce qu’elle est en mesure de faire émerger depuis l’invisible, des réalités souvent occultées dans les narrations dominantes sur le cancer. La maladie s’est révélée au-delà de son ancrage anatomique afin de s’exprimer en images, en sensations, en affects, en métaphores, en retenue, en fulgurance. Écouter, guider, interroger, déchiffrer, célébrer les balbutiements et encourager les gorges qui se délient… ont été autant d’actions entreprises avec le respect que commandait la posture des participantes. Ma responsabilité au moment du montage éditorial a été de transmettre la précision de leurs dires tout en faisant advenir un chœur de voix qui reprend et relance les phrases tantôt découpées en fragments poétiques, tantôt préservées dans leur prosaïsme, gardées telles qu’elles sont venues à la parole.
Baob Brussels, ASBL fondée par Juliette Berguet en 2021, œuvre au rappel que la vulnérabilité est un enjeu systémique, c’est-à-dire qu’elle est liée aux structures d’oppression qui sculptent l’expérience de vie et de mort des individus. Baob déplace aussi notre attention vers ce qui persiste du cancer une fois celui-ci contenu, cette idée que vivre, cela ne devrait pas être survivre, mais pouvoir répondre d’élans inédits, se métamorphoser, aimer encore, habiter le jour malgré les douleurs, réintégrer une société discriminatoire envers les personnes en situation de handicap, lutter pour de meilleures conditions d’existence pour toustes. Prônant l’importance d’une lecture intersectionnelle de la maladie et du soin, et apportant un soutien inestimable à des femmes traversant ou ayant traversé un cancer, Baob est un lieu de rencontres, d’entraide et de mises en commun de ces savoirs que l’on cultive dans l’obscurité, avec l’intuition que notre corps parfois parle un langage de nous inconnu. Un langage insoupçonné.
Cet ouvrage est un cadeau que les membres de Baob nous font. Femmes de tous les âges, elles se racontent, avec une peau marquée et le regard tourné vers le futur. Car comme l’a écrit Juliette lors d’un atelier : « Même si je trébuche encore sur les mots, je sais une chose : ma voix compte. Mes oublis, mes trous de mémoire, méritent aussi d’être entendus ». Entre ces pages, toutes les voix comptent, écorchées ou non, celles qui ont pris le risque de l’encre et celles en devenir.
Autrices
Latifa Ben Ahmed
Juliette Berguet
Nadine Delire
Florine Gason
Sabrina Idrisse
Djamani Tshabu
Direction littéraire
Jennifer Bélanger
Couverture et illustrations
Jennifer Bélanger
Conception graphique
Florine Gason
Révision linguistique
Viviane Welter
* Le titre est tiré du Journal du cancer d’Audre Lorde, trad. Frédérique Pressmann, Genève/Montréal, Éditions Mamamélis/Éditions Trois, 1998 [1980].
Jennifer Bélanger remercie le Fonds de recherche du Québec – Société et Cuture qui finance son stage postdoctoral dans lequel s’inscrit le présent projet.